L’ouest, le vrai.
La marque.
L’imposture de la langue.
« Depuis 2007, la Jeune
Chambre Économique de Nantes est propriétaire de la marque Made
In Nantes et fait valoir ses droits en terme d’utilisation de
sa marque par des tiers. »
Gargarisation discursive à tous
les étages de la fusée métropolitaine.
Pourtant, l’ouest, le vrai.
Mélangé.
Avec ses indiens et ses cow-boys,
ses saloons, ses pipelines, ses avions gros porteurs, ses négriers,
ses voyageurs, ses fortes têtes. Avec ses ajusteurs, ses
conducteurs de travaux, ses techniciennes de surface, ses
biologistes, ses maraîchers, ses jeunes qui en veulent, qui en
bavent, ses chômeurs longue durée des deux sexes et plus.
Avec sa mâche et ses biscuits, son institut des études avancées et
de la cancérologie par le rire, ses intégristes romains, ses
immigrés roumains, ses apostats et autres chargés de quartier. Avec
son éléphant, ses hypermarchés, ses étudiants et ses mosquées,
ses fêtes et réjouissances du Prince que l’on nous envie et que
l’on nous dispense comme si Versailles, c’était l’espace
public.
Pour fêter chaque nouveau label, chaque nouvelle certification.
Palmes, médailles, galons, hochets.
« La faune bigarrée des labels et des certifications. »
Cette inflation honorifique caractéristique du projet urbain et de
l'ingénierie métropolitaine.
Avec son jeu à la nantaise à la fois réduit au néant, pillé et
compissé par les communicants.
Gros plant et muscadet.
Avec son aéroport international Nantes Atlantique.
« Marche !
Lâche ta bagnole ! »
Et
je remets le son.
Sud-Loire.
Parking
du théâtre municipal de Rezé, le graffiti sauvage se délave sur
le mur d’une des voisines. Le Président de Nantes Métropole
(numéro deux, président en second, maire de Rezé, doublure de
numéro un, maire de Nantes, président monté à la capitale) va au
spectacle. Il prend le tract du collectif et ne semble pas croire
lui-même à son projet métropolitain et à son éco-label européen.
Première
couronne.
Banlieue
sud.
Vers
là où les avions se posent.
Rezé
et Bouguenais.
Deux
mitoyennetés nantaises.
Bouguenais.
Nantes
Atlantique, l’aéroport international de Nantes, encore parfois
appelé Château-Bougon. C'est aussi l'usine Sud-Aviation qui produit
des voilures de Caravelle après la guerre et devient plus tard
l'Aérospatiale, plus couramment encore appelée Airbus.
Bouts
de Concorde, de Bréguet Atlantic, de Mystère 20.
L’usine
produit aussi 650 000 réfrigérateurs de la marque Frigéavia entre
1950 et 1968.
Point
d'impact initial du Mai 68 ouvrier, dès avril, grèves tournantes et
vote de la grève totale le 14 mai.
« J’ai
même vu des mecs qui votaient en fermant les yeux. »
François
Le Madec, ajusteur à Sud-Aviation, en a fait un très beau récit
publié par le Centre d'histoire du travail en 1988.
L’aubépine
de mai, chronique d’une usine occupée.
Tout
un programme.
« Dès
la nouvelle connue que la direction persiste et met en pratique ses
intentions, le branle-bas général est sonné dans les postes. On se
précipite aux voitures et aux mobylettes, qui démarrent dans une
pétarade générale. La contre-manifestation s'organise spontanément
et fond sur les lieux de la consultation organisée par la direction.
C'est une arrivée trépidante devant la coquette mairie de
Bouguenais. »
« Les voitures éjectent leurs équipes
de « bleus » qui se répandent sur la route et la petite
place de la mairie. Mais il y a déjà là, en guise de comité
d'accueil, tout le comité des « jaunes », environ deux
cents, qui n'en demandait pas tant. »
« On aperçoit à travers les vitres,
trônant sur une petite table et assez singulièrement en relief dans
la salle vide de tout meuble, l'urne de la « compromission ».
Les premiers votants passent, recueillant au passage, par quelques
signes familiers et complices, la bénédiction des représentants de
la direction. Tous n'auront pas cet honneur de paraître en cour, car
peu à peu des groupes de grévistes, délégués en tête,
s'infiltrent dans l'Hôtel de Ville. C'est le commencement de
l'empoignade entre les deux groupes, mais les échanges se limiteront
toutefois à de dures engueulades. Pas de coups, mais il devient
évident de minute en minute que le « coup de la
participation » électoraliste de la direction est foutu. Les
membres du bureau de vote voient d'un œil inquiet et désabusé la
situation se dégrader. On les sent ne sachant plus que faire.
Dehors, c'est le forum : une petite fourmilière en discussion. Des
groupes se sont formés entre civils et contre-manifestants. Les
jaunes essuient un bon savon ... Il leur est distribué aussi un
petit papier qui fait appel à leur logique.
SUD-AVIATION
POUR
LA LIBERTÉ DU TRAVAIL
Je
soussigné non gréviste M......................…………..
travaillant à Sud-Aviation, m'engage par la présente à ne jamais
profiter des avantages de toute nature qu'auront obtenus mes
camarades grévistes. Je déclare être pleinement satisfait de mon
salaire actuel, de mes horaires de travail, de la sécurité de mon
emploi, de l'intérêt de mon travail, de mes vacances que je trouve
trop longues.
Je déclare
remettre mon sort entre les mains du patronat et de ses divers
représentants gouvernementaux
et demande
à travailler librement sous la protection des forces de l’ordre.
Date...................
Signature...........................................
Cet engagement dûment signé sera remis au
piquet de non-grève qui le transmettra au représentant du CNPF.
« Quelques jaunes signent ... »
« Pendant ce temps, la mairie a changé
de mains. Les grévistes sont partout dans la place : un petit
drapeau rouge flotte joyeusement sur la mairie aux vents de la
Victoire. Dans la salle de vote, un dernier carré de « démocrates »
assiste impuissant et contrit au petit Waterloo de la direction. Le
patron du terrain « neutre », Monsieur le Maire, en homme
politique avisé, devient diplomate et s'évertue à mettre fin à
une situation qui ne débouche sur rien. Il prend la décision de
stopper les opérations. »
« Ce n'est pas tout à fait fini ; il
faut encore conclure l'opération en réglant quelques dernières
modalités pratiques. Le maire rentre dans sa mairie accompagné par
des délégués et des non-délégués. On boucle les portes pour
être tranquille et régler les dernières touches de la comédie
électoraliste. Les travailleurs exigent que l'on efface toutes les
traces du mauvais coup monté par la direction. L'urne va être
ouverte et les quelques bulletins qui s'y trouvent détruits. On
cherche un moment la clef égarée dans la confusion. Monsieur le
Maire mène les opérations. La boîte ouverte, quelqu'un prend le
petit nombre de bulletins qui s'y trouvent pour les réduire en
cendres. Exécuteur des basses œuvres, il les brûle dans un lavabo
sous l'œil satisfait et ironique des manifestants et des délégués.
C'est un enterrement de première classe pour la direction qui voit
ses tentatives d'usurpation de pouvoir réduites à néant. »
Premier
établissement industriel occupé en France avec séquestration de la
direction pendant deux semaines.
Le
Mai ouvrier. Dix millions de grévistes, le plus grand mouvement
social en France au vingtième siècle.
Il
a commencé sous la « biroute », au pied de la manche à
air, à quelques centaines de mètres de ce qu’on appelait alors l'aérogare de Nantes.
Portes
de l’usine soudées, barrages et chicanes.
Les
grévistes dorment dans des cartons d’emballage de réfrigérateurs.
« Les
corps étaient alignés en rangs serrés, comme des momies dans leurs
sarcophages. Seules dépassaient les chaussures de travail. »
Rencontre
étudiants et ouvriers.
Sous
le regard inquiet des organisations syndicales.
Le 20
mai, prise de parole de Bernard Lambert dans la faculté.
Les
paysans dans la lutte des classes.
Le 24
mai, journée nationale d’action des organisations agricoles.
Les
paysans entrent dans la ville avec leurs tracteurs et leurs remorques
de fumier.
Ils
rebaptisent la Place Royale, Place du Peuple.
L'aérodrome
a été ouvert avant guerre.
Cinquante
hectares en 1923, une piste bétonnée de neuf cents mètres sur
quarante construite en 1939. La Royal Air Force y stationne jusqu’à
la débâcle de mai-juin 1940. Les troupes allemandes d’occupation
en font un aéroport pour bombarder l’Angleterre et se saisissent
de l’usine aéronautique Bréguet pour produire des dérives et des
gouvernails de bombardiers Heinkel. Ils construisent même à
proximité un faux terrain d’aviation avec de faux avions de chasse
en bois et papier mâché. Une rumeur de l’époque dit que la RAF a
bombardé ces faux aéroports avec des bombes en bois.
Wood
for wood.
Autre
légende urbaine digne de la ZAD.
Les
villages alentours sont pleins de soldats allemands qui utilisent des
fumigènes pour cacher les installations lors des alertes et
graissent leur DCA dans de vieilles folies nantaises.
Le
vrai site est vraiment bombardé le 4 juillet 1943 et l’usine aux
trois quarts détruites. Neuf morts et trente blessés parmi les
ouvriers qui n'ont pas été alertés à temps.
« C’est
lors du bombardement de Château-Bougon qu’on put mesurer le champ
d’aspersion d’un raid exécuté à haute altitude. Les avions
volèrent Est-Ouest, se dirigeant vers l’aérodrome et ses usines.
Les premières chutes furent relevées au Moulin-à-Huile en
Pont-Rousseau, les dernières dans l’usine qui reçut douze bombes
sur ses ateliers et soixante dans l’enceinte, sans que le hall aux
avions fut touché. »
À
nouveau le 8 mai et le 10 juin 1944.
La
piste en béton de l’époque est perpendiculaire à l’actuelle.
Les Allemands la prolongent à 1240 mètres et la doublent d’une
piste perpendiculaire NE/SO de 1537 mètres, support de la piste 21
actuelle.
Entreprise
Nantaise de Travaux Publics et de Paysages.
C’est
elle qui réalise ces travaux, ainsi que d’autres pistes dans
l’Ouest.
« Sans
réquisition », « de gré à gré », « avec
zèle » et « volontarisme », noteront les membres
des organismes d’épuration économique à la Libération. De 1940
à 1944, l’entreprise réalise cent millions de chiffre d’affaires
avec l’occupant contre dix avec des clients français.
Une
partie significative des marchés reste dissimulée. Pour le seul
chantier de Château-Bougon, l’entreprise a soustrait à sa
comptabilité officielle 6 483 626 francs. Chiffres et bénéfices
réalisés sont très loin de la vérité, constate le Comité de
confiscation des profits illicites de Loire-Inférieure à partir des
comptabilités allemandes.
André
Morice.
L’un
des deux associés de l’ENTPP n’est pas un inconnu.
Il
sera député et sénateur de Loire-Inférieure, puis maire de Nantes
de 1965 à 1977, grâce à une astucieuse stratégie de troisième
force, anti-communiste et anti-gaulliste.
André
Morice est aussi ministre de la Défense en 1957.
Partisan
de l’Algérie française, il couvre la torture, construit la ligne
fortifiée qui porte son nom le long de la frontière tunisienne et
censure trente-sept fois le journal France-Observateur,
inculpant et emprisonnant ses journalistes.
En
1959, il publie Les fellaghas dans la cité aux éditions du
Populaire de l’Ouest, futur Presse-Océan.
Condamné
en première instance à la Libération, il est blanchi en appel,
grâce à son réseau politique parisien et son talent de
négationniste permanent de la collaboration économique réalisée
par son entreprise.
En
1963, la voie ferrée Nantes-Pornic/Saint-Gilles-Croix-de-Vie est
déviée.
En
1967, la piste SO/NE est prolongée à 2095 mètres. Le pilotage ILS
sans visibilité est installé côté SO.
Dans
son document prévisionnel de 1971, l’Organisation d’études
d’aménagement de l’aire métropolitaine Nantes-Saint-Nazaire, le
bureau d’études du Ministère du plan et de l’aménagement, cite
encore la piste orientée NO/SE.
« Une
piste secondaire dont la disparition est prévue ».
Son
extension, un scénario que les opposant demandent vainement de
tester lors du Débat public de 2002, n’est jamais envisagée dans
le plan de 1971. L’aéroport doit déménager vers les lieux de la
plus forte croissance. « Le schéma d’aménagement de l’aire
métropolitaine prévoit des extensions préférentielles vers le
nord et l’ouest-nord-ouest. »
On
connaît la suite.
L’aéroport
de Château-Bougon prend peu à peu son allure actuelle tendue vers
la ville.
1969,
on construit le collège public de Bouguenais.
Il
est le dernier bâtiment de hauteur dans ce qui est devenu le couloir
principal d’atterrissage de l'aéroport Nantes Atlantique.
Années
quatre-vingt et quatre-vingt-dix, augmentation des trafics.
Oui.
Les
avions sont à deux cents mètres d'altitude et remettent parfois les
gaz. Au dernier étage du collège, on s’y croit.
Paris-New-York,
New-York-Paris.
Comme
un pauvre con tout seul à Orly.
Ouais,
on rêve tout éveillé.
Comme
si vous y étiez, comme si tu y étais.
On se lève la nuit pour y penser.
Paris-New
York, New York-Paris.
Dans
dix ans, là-bas comme ici.
Asphyxie.
La
zone aéroportuaire s'étend encore, maintenant bien reliée à la
nouvelle rocade sud de Nantes.
Le
pont de Cheviré ouvre en avril 1991.
Les
charters arrivent et avec eux la saisonnalité du trafic. Plus il
fait beau, plus il y a de nuisances. Le charter entre dans les
classes. Toute parole s'arrête, les enfants n'en profitent même pas
pour foutre le bordel. Tout fout le camp.
Depuis
(tout récemment), le bâtiment a été mis sous cloche plastique
comme dans The Truman show. L’effet est saisissant,
mais l’usager doute. Finalement, entre mauvaise conception et
prestations rognées, on finit par percer des fenêtres dans la coque
plastique verte pour trouver un peu d’air frais. Le bruit revient
par le trou percé dans la coque, aux beaux jours.
« Oui,
mais l’hiver, au moins, vous êtes tranquilles. »
Bouguenais.
Mitoyenneté
rezéenne, mitoyenneté nantaise.
Pourtant,
même de Rezé, ce n’est pas facile d’aller en transport en
commun à l'aéroport Nantes Atlantique. Une bizarrerie. Le terminus
de la ligne de tramway arrive bien à Bouguenais, mais décalé, il
s'arrête à deux kilomètres de l'aérogare. La navette cadencée
demandée par la mairie n’a jamais vu le jour. La voie ferrée
régionale mitoyenne n'a ni arrêt, ni gare. La seule ligne de bus à
tarif normal dessert la zone industrielle aéroportuaire et a des
horaires en rapport, indigents et dépressifs. Pour aller à cet
aéroport en transport en commun, il faut en réalité utiliser une
ligne de bus spéciale qui coûte 7,5 € l'aller, au lieu de 1,5 €
pour un trajet sur le réseau normal.
Interroger
cette curieuse mise en œuvre.
Manque
de trafic passagers d’un aéroport à trafic modeste.
Peut-être.
Les
utilisateurs réels de Nantes Atlantique savent que la saturation est
un élément de langage.
Maléfice
de pickpockets à cravate sûrement.
On
comprend l'enjeu des parkings à Nantes Atlantique.
Trente
pour cent des revenus de l'aéroport.
La
stratégie du cochonnet.
Premier
acte de gestion du concessionnaire Vinci à ce sujet. Supprimer la
première demi-heure gratuite de parking. Transfert de compétences
depuis les autoroutes privatisées.
Plus
loin, les mêmes.
À
quelques stations de bus de l’aéroport, le centre-ville de Rezé
est mis en stationnement payant à l’ouverture du parking
souterrain Vinci construit sur le site d’une nouvelle fusion de
cliniques privées.
Capitalisme
médical.
Mourir
en dégageant un bénéfice.
L’autre
eldorado nantais après les énormes centres commerciaux.
« Vinci
Park. »
Livraison,
avril 2011, du parking Confluent.
« L’architecte
a conçu un parking de nouvelle génération au design
exceptionnel, associant dans un même cylindre deux rampes
hélicoïdales sur un principe imaginé par Léonard de Vinci. Il
s’agit en fait de deux hélices superposées qui ne se croisent en
aucun point. Une sera utilisée par les voitures
qui descendent, l'autre par les voitures qui montent. »
Comme
à Notre-Dame-des-Landes, une piste pour décoller, une autre pour
atterrir.
« Conception
résolument moderne, voire futuriste. »
Cinq
cents places entièrement inondables dans la confluence Sèvre-Loire,
prairies humides remblayées dans les années cinquante par du sable
pollué.
Vinci,
leader mondial du stationnement.
« Comme
dans l’ensemble du réseau Vinci Park, de nombreux services
gratuits destinés à faciliter la vie des automobilistes sont
disponibles dans le parking Confluent : prêt de parapluies, kiosque
à journaux gratuits, stationnement offert aux clients le jour de
leur anniversaire, accompagnement sur demande des automobilistes
jusqu’à leur voiture... Une ambiance musicale et olfactive est
également proposée. »
La vidéo
promotionnelle de Vinci Airport annonce le doublement des parkings
voiture à Notre-Dame-des-Landes en 2065. Pour le parti des passion
tristes, l'imaginaire dessine pour le siècle qui vient une voiture
individuelle garée dans un aéroport en concession. Parce qu'il
génère des routes, des redevances et du dividende sans risques. Un
fond de commerce, le couple bagnole-avion.
La version
soixante-dix du mariage pour tous.
Amen.
Le 27 juillet 2011,
une manifestation des opposants au projet de nouvel aéroport à
Notre-Dame-des-Landes a lieu à Nantes Atlantique.
Ce n’est pas la
première fois qu’on manifeste ici.
Les maires de
Bouguenais et de Saint-Aignan avec une centaine de leurs administrés
y sont en 2004. Ils réclament que les compagnies aériennes versent
leur contribution prévue pour les indemnisations du Plan de gêne
sonore.
En 1999, des
enseignants, parents d’élèves et élèves du collège de
Bouguenais l’avaient déjà investi et y avaient tourné en rond, à
l'américaine, en tapant sur des percussions. Belle acoustique,
avaient-ils noté en lorgnant sur les files d’enregistrement d’un
charter à prix cassé pour la Tunisie amie.
Général-président
Ben Ali, grand Protecteur des piscines et des vols vacances, prophète
de la démocratie aéroportuaire.
Bénaliser Vinci.
Leur coup avait été
si soudain et ils étaient si peu infiltrés qu’il ne leur était
rien arrivé. Ou alors les élèves les avaient protégés.
Ils y avaient cru.
Un bon souvenir.
Les temps changent.
Vinci dégage.
Ce 27 juillet 2011,
l’après-midi n’est pas très ensoleillé, mais c’est quand
même l’été. Quelques jours auparavant, le rassemblement annuel
contre le projet a rassemblé plusieurs dizaines de milliers de
personnes sur la ZAD.
Une brigade de
clowns a été spécialement mobilisée pour l’événement.
Auguste et
contre-pitre.
Nez rouge et
peinturlure.
Un sac de terre est
éventré et des légumes sont plantés dans le hall.
Betterave, chou,
salade.
Une magnifique
course d’hommes-caddie volants.
Leurs ailes sont
multicolores et battent dans l’air conditionné du hall numéro 1,
tandis que des soutiers enthousiastes poussent les caddies jusqu’à
la vitesse de libération. Quelque chose relie ces hommes-caddies
d’aéroport aux hommes volants immobiles que photographie Janne
Lehtinen pour rendre hommage au vol libre.
« Sacred Bird ».
Des manifestants
s’approchent des bureaux d’Ago-Vinci situés au premier étage.
Les visiteurs sont malvenus et mal accueillis. Depuis le premier
janvier 2011, Aéroports du Grand Ouest, filiale de Vinci Airport,
filiale de Vinci Concession, filiale de Vinci tout court, est
concessionnaire de l’aéroport et depuis quelques semaines ses
huissiers activent les procédures d’expulsions à Notre-Dame.
Vinci vient vers
vous, n’allez pas vers eux.
Vous n’avez rien à
faire.
« Ce qui s'est
passé cet après-midi est un nouvel acte irresponsable et un
dérapage inacceptable. »
L’intervention
policière est lourde.
« Chargé-e-s,
gazé-e-s, piétiné-e-s, frappé-e-s au sol. »
Le grand élu aussi.
«
Ceux qui ont mené
l’attaque contre l’aérogare ne sont en rien les représentants
des populations concernées, il est important que ceux et celles qui
s’opposent à ce projet dans les cadres légaux et républicains
dénoncent ces actes de violence. »
La
carte du plan d’exposition au bruit de Nantes Atlantique ressemble
à une salamandre écrasée.
Calculée
en 2002 sur
la base d’un trafic extrapolé de 110 000 mouvements.
Autorité
de contrôle des nuisances aéroportuaires.
Aéroport
classé non dangereux, sans particularités.
Aucun
objet Seveso à proximité.
Pas
de relief.
Pas
de centrale nucléaire (pour un peu).
40
107 vols commerciaux enregistrés en 2001.
39
668 en 2010. Six années de baisse sur la dernière décennie.
Le
trafic avions de 2000 n’est dépassé qu’en 2011.
Il
avait déjà baissé pendant trois ans consécutifs après la
première guerre du Golfe (1991).
Souvenez-vous.
Et
aussi après les indépendances des années soixante.
Et
même après 1968.
Salauds
de grévistes.
Aucune
saturation ni dans l’approche, ni sur la piste.
Trois
avions à l’heure en moyenne, sept en période de pointe. Par
l’absurde, techniquement, trente-cinq à cinquante sont possibles
comme à Londres ou à San Diego.
On
peut décoller ou atterrir dans tous les sens.
« Partir,
c’est crever un pneu. »
Il
faut n’être jamais sorti de Nantes pour se croire mégapole ou
même métropole mondiale. Voyager, c’est revenir humble.
Le
trafic avions baisse, mais l’emport augmente. Les avions sont plus
gros et mieux remplis.
La
saisonnalité change.
1,6
millions de passagers en 2001, 3,2 en 2011.
3,6
millions de passagers en 2012.
Ago-Vinci
triomphe sur la numération.
« Les
chiffres parlent d’eux même ».
Au
Conseil général.
« Les
compteurs de l'aéroport Nantes-Atlantique s'affolent. »
Mathématique
aérienne low-cost, estivale et subventionnée.
« Record
mensuel absolu atteint en août avec 403 134 passagers accueillis. »
Croissance de vingt-quatre pour cent pour la même période.
Seize
pour cent en juillet.
Charters
et low-cost font quarante-sept pour cent du trafic passagers.
On
devient spécialiste du vol-vacances.
Deux
incidents notoires.
« Compagnie
Luxor Air. »
Samedi
20 mars 2004, MD-83 immatriculé SU-BMF effectuant la liaison non
régulière LXO615 entre Louxor (Égypte) et Nantes (44), l’arrivée
à Nantes étant initialement programmée le lendemain dimanche à 9
h 30. L’avion arrive à Louxor depuis Bruxelles (Belgique) à 18 h
40, soit avec un retard d’environ seize heures.
Bureau
enquête et d’analyses de l'Aviation civile, rapport su-f040321.
« Faits
établis par l’enquête.
L’équipage
détenait les licences et qualifications requises.
L’avion
détenait un certificat de navigabilité en état de validité.
Le
contrôleur d’approche détenait les qualifications requises.
Les
différentes positions de contrôle à la tour de Nantes étaient
regroupées et l’armement était conforme au tour de service.
L’équipage
a reçu l’instruction de se diriger vers ABLAN, pour rejoindre
directement le segment d’approche intermédiaire, ce qui a conduit
à une interception de l’axe d’approche avec un angle proche de
110°. Le pilote automatique n’a pas été en mesure de capturer
l’axe d’approche ; le pilote en fonction a sélectionné un cap
d’interception et a débuté la descente à un taux élevé ne
permettant pas le respect du profil d’approche. Alors que l’avion
rejoignait l’axe d’approche, le commandant de bord a décidé de
contourner ce qu’il avait identifié par erreur sur le radar météo
comme étant de l’activité orageuse.
L’équipage
n’a pas effectué de vérifications relatives à l’altitude de
l’avion. L’écart maximum par rapport à la trajectoire a été
de 1,3 NM en latéral et 1 000 ft en vertical. Le contrôleur s’est
aperçu tardivement de l’écart de l’avion par rapport à la
trajectoire. Le copilote a pris l’initiative de revenir vers l’axe
d’approche. Au même moment, le commandant de bord a décidé la
remise de gaz. L’avion a alors été aperçu par un témoin.
La
hauteur la plus basse atteinte par l’avion a été de 400 ± 80 ft.
[soit
122 m ± 24 m]
Après
un moment de confusion, le contrôleur a guidé l’avion pour une
seconde approche.
La
gravité de l’incident n’a été perçue que progressivement, ce
qui a conduit à une notification tardive au BEA et à la
non-préservation des enregistrements de bord. »
Résumé
pour les nuls.
« De
nuit en conditions IMC, l'équipage a effectué une approche non
stabilisée sur la piste 21, aérodrome de Nantes Atlantique, est
sorti volontairement de l’enveloppe de protection de la procédure
publiée puis a remis les gaz alors qu’il survolait l’agglomération
à une hauteur d’environ quatre cents pieds [120 mètres]. »
Le
BEA prie l’aviation civile égyptienne d’effectuer en urgence un
grande nombre de vérifications auprès de la compagnie incriminée.
Formation et maintien de la compétence pilotes, entraînement aux
approches classiques, gestion des ressources de l’équipage,
documentation opérationnelle et instrumentation de radionavigation
de bord de ces appareils. À Nantes, le BEA demande à la DGAC d’identifier les écarts qui ont pu s’installer dans la
pratique du contrôle aérien par rapport aux procédures
réglementaires et d’analyser les causes de ces écarts.
Le
4 novembre 2009, un avion de type MD 80 de la compagnie turque Onur
Air réalise un autre survol de l’agglomération à une altitude
trop faible.
Hasard.
Deux
incidents valent deux compagnies charters.
Mutation
du marché.
Compagnies
aux classements dégradés par les observatoires du vol aérien,
condamnées par la justice ou déjà disparues.
Low-cost
pousse charter.
« À
bas coût ! »
Métropole
pousse touristification.
« À
bas coût ! »
Destinations
européennes déclassent Club Med, Marmara, Look, Nouvelles
Frontières.
Nouvel
esprit de la distinction touristique. Mettre en mouvement ceux qui
ont un peu d’argent et meurent d’ennui dans l’éco-nécropole.
Cinq
destinations extra-européennes seulement sur les soixante vols
low-cost au départ de NA.
Sortir
trois jours de l’étouffoir.
« À
bas coût ! »
Subvention
pousse-café pousse low-cost.
« À
bas coût ! »
Nouvelle
niche subventionnée par des aides au marketing, des gratuités ou
des réductions de charges dégressives favorisant la mise en
concurrence des aéroports et une instabilité du secteur fondé sur
l’opportunisme dans la captation des aides publiques.
Caution
publique des détournements du droit travail à l’échelle
européenne et laboratoire volant de dérégulation.
Frédéric
Dobruszkes, géographe des transports, publie en 2007, Libéralisation
et desserte des territoires : le cas du transport aérien.
Malgré l’opacité qui
entoure le marché du low-cost, il décrit les avantages extravagants
accordés en Wallonie à la compagnie Ryanair à partir de 2001.
Soustraits à l’information publique au terme d’accords secrets,
ils sont prémonitoires du devenir du transport aérien européen. En
2002-2003, Ryanair reçoit 168 millions d’euros d’aide publiques
pour l’ensemble de ses lignes européennes. La Commission
européenne, pourtant, interdit et punit les aides publiques au
transport aérien, marché dérégulé. La mise en concurrence des
régions et des villes offre, à l’intérieur d’un marché
formellement réglé par la libre-concurrence, une opportunité
formidable de distorsion de concurrence et d’affairisme complexe.
La Commission européenne légalise une partie de ces aides publiques
sous un principe temporel, dégressif et non discriminant. Le
géographe belge débrouille un écheveau de contradictions
aéroportuaires.
« Les nouvelles compagnies ont pour avantage concurrentiel de s’être
développés hors de contraintes avec lesquelles les compagnies
conventionnelles ont du entrer dans le jeu de la libéralisation, en
particulier en termes salariaux et de gestion de ce qu'il est convenu
d’appeler « les ressources humaines ». Il y a par
ailleurs lieu de s’interroger sur une logique qui conduit à ne pas
financer l’exploitation de trains internationaux de passagers,
alors que des compagnies low-cost concurrentes le sont. »
« Plus généralement, la privatisation des aéroports limite les
possibilités de planification territoriale et économique à
l’échelle d’un pays ou même d’une région qui serait doté de
plusieurs aéroports concurrents. Se pose en outre la question de la
régulation des activités portuaires dans une optique
environnementale dès lors que s’opposent des aspirations
citoyennes à la qualité de vie et l’intérêt des actionnaires
visant, par définition, le profit. »
Un
week-end à Rome.
Construction
publicitaire de l'idiotie du désir de consommer du voyage.
« Participer
à un jeu de pistes inédit en France et gagner des billets d’avion
au départ de Nantes Atlantique. »
Des
points jaunes en plexiglas, symboles de la compagnie seront
disséminés dans la ville.
« Certains
de ces points jaunes donneront droit à des billets d’avion
gratuits pour Rome, Barcelone ou Malaga ou des réductions
tarifaires. »
La
nouvelle compagnie low-cost espagnole qui sert de faire-valoir 2012
et 2013 aux porteurs de projet n’a même pas six mois
d’exploitation à l’écriture de ce texte.
Premiers
vols août 2012.
Aides
publiques à la dérégulation.