Démolitions [part 2]

Le livre a été publié en 1976 aux Éditions du Cercle d'Or.
Jean de Leffe et de Robert Leggen.
Épuisé.
Maison d’édition vendéenne décédée.
La couverture semble intemporelle.
Contre le progrès.
Contre la croissance.
Contre le développement du territoire.
Des vaches, un arbre nu en hiver, une herbe rase et humide. Des hangars agricoles.
Sur le toit du grand hangar, en grosses lettres peintes.
NON À L’AÉROPORT
et un grand triangle de danger, avec un avion barré à l’intérieur.
Ça fait quarante ans que ça dure.
La même en couleur.
À force, ils ne croyaient plus qu’ils allaient être détruits, les gens.
Démolis.
Dégagés.
La quatrième de couverture est comme neuve.
« Le dossier de l'Aéroport International Ouest-Atlantique Rotterdam aérien, projeté sur le territoire de la commune de Notre-Dame-des-Landes (au nord de Nantes), mérite d'être ouvert, parce qu'à travers lui, se trouvent mis en évidence le circuit habituel des décisions qui nous aménagent, la légèreté avec laquelle on programme notre avenir, la brutalité, consciente ou inconsciente, d'une administration qui descend sur le tas pour dire en substance : "DÉGAGE !... ON AMÉNAGE." Raconter comment naît un projet d'équipement et comment on l'impose aux populations locales, c'est voir à l'œuvre le fonctionnement de notre démocratie. »
Comme si rien ne s’était passé.
Quarante ans.
Décentralisation, démocratie consultative, participative, incitative, dissipative, occupative, Grenelle de l’Environnement, Forums citoyens, Commission du débat public, prospective de masse, panel de citoyens, Commission Climat, enquête publique. Conférence de consensus.
Tout ça pour ça.
Dégage !... on aménage. (1976) partage avec C’est quoi c’Tarmac ! un certain souci de l’archive et des détails. Par là, souvent, l’ensemble se saisit, le jeu d’acteurs, le territoire.

La perspective de la grenouille, archiviste demi-solde.
Mai 1970, première évocation publique d’un Rotterdam aérien au nord de Nantes. L’élu est visionnaire, de retour des États-Unis, futur maire calamiteux et anti-tramway de Nantes (1983-1989). C’est le temps des métropoles d’équilibre et des prophètes de la croissance.
On rêve des longs-courriers
La technostructure étatique travaille depuis cinq ans aux schémas de développement des métropoles dites d’équilibre.
Repérages.
De 1968 à 1971, sur instruction préfectorale, le Service technique des bases aériennes commence la phase de prospection de nouveaux sites aéroportuaires.
Critères 1967 garantis.
Janvier 1972, après étude et discussions occultes élus-État, le Préfet de Loire-Atlantique lâche le morceau, l’objet et le lieu.
« L'Aéroport international est en piste. »
On en rirait presque. Novembre 2012, le Conseil général pérore dans son gratuit publicitaire, image de synthèse Vinci à l’appui, et toute honte bue des violences policières d’octobre et novembre.
« Le projet décolle. »
Le projet seulement.
Le reste ne suit pas.
Printemps 1972, premières réunions des syndicats agricoles et votes négatifs dans les mairies concernées. En juin, les conseils municipaux des quatre communes sont menacés et retournés par la Préfecture.
« Le projet est inévitable. »
La ZAD est en route.
C’est le progrès.
Décembre 1972, l
Le comité de défense se constitue en Association de Défense des Exploitants Concernés par l'Aéroport.
L’Adeca existe toujours en 2013.
Janvier 1974, parution de l’arrêté de ZAD pour zone d’aménagement différée, le Conseil général est l’agent préempteur.
Septembre 1974, premier macaron de l’Adeca « Non à l'Aéroport d'Ouest Atlantique » et première manifestation sur la ZAD.
Avril 1975, projection à Blain de Kashima Paradise, film documentaire de Yann Le Masson (1973).
Cinéma direct.
Résistance à la construction d'un deuxième aéroport international à Tokyo au début des années soixante-dix.
Chris Marker, narrateur du film, en parle ainsi.
« Kashima Paradise est un film complet au sens où l’on peut dire d’un homme qu’il est complet, c’est-à-dire quand il a abattu en lui un certain nombre de ces cloisons étanches que tous les pouvoirs encouragent pour rester seuls maîtres de la communication entre des domaines réputés inconciliables. […] Au bout de l’aventure, Kashima Paradise, le film des cloisons abattues, où la beauté exceptionnelle de l’image, la rigueur de la méthode, la connaissance des forces en jeu, économiques et politiques, l’intimité réelle avec les hommes, s’étayent mutuellement, où la sensibilité de l’image préserve l’intelligence d’être froide, où l’acuité de l’analyse protège le spectacle de son propre enchantement – l’éblouissement visuel de certains moments, l’enterrement du militant avec ses hélicoptères felliniens, la bataille de Narita avec ces CRS teutoniques, venant baigner tout cela de la seule beauté véritable, celle qui est donnée par surcroît lorsque, sur une entreprise des hommes qui est d’abord une recherche de vérité, elle vient signifier l’approbation des dieux. On sait que le symbole des privilèges magiques du cinéma est souvent la fleur tournée en accéléré, cette intrusion d’un autre temps dans le temps familier. Voilà peut être le premier film où l’histoire est filmée comme une fleur. »
Nantes, Tokyo.
La centaine de milles et la dizaine de millions.
La grenouille et le bœuf.
La carpe et le lapin.
La vache et le prisonnier.
Le Carnet et Fukushima.
La zone humide et le tsunami.
Notre-Dame-des-Landes et les kamis.
Aujourd’hui, ici.
Le conflit de Notre-Dame-des-Landes, autant sousveillé que surveillé, fleurit d’images numériques produites à distance du marché du film. Si les journalistes s’y sont sentis mal-aimés, une nouvelle espèce du cinéma direct s’est installée sur zone. Le web en est gorgé. Le mot est faible tant l’hyper-documentation est proliférante. Ce magma numérique pourrait paraître informe, nauséeux de militantisme et envahi par la parasitose publicitaire d’un e-média ambivalent. Il n’est certes pas le réel, mais l’effet de réel est puissant, l’effet de réseau, l'effet de construction du réel par le média, bien sûr.
Cinéma direct selon wikipédia.
« Désir de capter directement le réel et d’en transmettre la vérité, il est au cinéma, de façon plus durable, une manière de se poser le problème du réel, voire de tenter d'y agir par le cinéma. »
Mai 1976 (date d’édition de Dégage !.. On aménage.) aucune terre agricole n’a pu encore être achetée par le Conseil général, la profession agricole, « les paysans », est clivée entre bas et haut.

Ça branle dans le manche.
En 2013, même la Fnsea 44 est contre le projet d’aéroport.
Dessiner un maison détruite aux gravats évacués, ce n’est pas facile.
L'illustrateur se dérobe, le graphiste s’enfuit.
L'œil comme la photographie bafouillent.
Des jeunes ont campé là cette nuit, à l’emplacement de la Gaieté, sur le vide des ruines exfiltrées de la Gaieté. Ils nous demandent où est la ZAD, alors que la ZAD, c’est eux aussi, et n’ont même pas de café à nous offrir. Représenter le démoli-évacué, c’est cet acte impossible qui dit la prodigieuse capacité à effacer le passé et à faire croire à la tabula rasa.



La table rase.
Quelque chose comme « il n’y avait rien avant moi, moi, le grand fabricateur de légende publicitaire ».
« Tout a commencé en 1989. »
« Nantes, la belle endormie. »
Laisser de côté toutes les grandes marques d’avant : industrie en cœur de ville, équipe de football, carnaval, même tramway pourtant porté par une précédente municipalité socialiste (1977-1983), même ses premières années de recherche et de tâtonnements.
Les Allumées éteintes.
Changer la nomination des lieux.
Île de Nantes. Vallon des Dervallières, Carré Feydeau.
Chasser le populaire, cacher le collabo.
Novlangue métropolitaine invasive.
Politique de l’ingénieur bavard et du visionnaire abusif, homme d'État de taille variable, du promoteur, du grand patron et de la croissance. Gouvernement de la main sur la bouche.
Démocratie occupationnelle.
Enfumage participatif vidéosurveillé.
Maître et possesseur de la nature comme de la société.
Dans la ville et ce qui était la campagne.
Sociétés paysannes décomposées et éradiquées par l'avancée de la ville.
Conflits à répétition.
Souvent gagnés pourtant.
Projet de remblaiement des marais salins de Guérande pour extension touristique en 1975. Défendus et reconstruits autour de la Coopérative de producteurs, les marais salins sont aujourd'hui une activité repère du département.
Projets de centrales nucléaires du Pellerin (1976-1983) et du Carnet (1983-1997), en rive sud de l’estuaire de la Loire, jamais construites et déjà combattues par les mêmes paysans, les mêmes habitants urbains avec la même nécessité du rapport de force, nécessité que les élus socialistes de l’époque (les mêmes, jeunes) se gardaient alors de condamner.
La gentrification de la classe politique locale a touché ici jusqu’à la représentation de la politique comme scène lissée, policée et maîtrisée, exaltation métropolitaine du monde merveilleux de l’éco-poupée Barbie.
Naissance d’un potentat.
Big men à la manœuvre.
En 2009, le projet d’extension du Port autonome en rive nord de l’estuaire à Donges Est, est retiré par les promoteurs eux-mêmes. Cinquante-huit millions d’euros, cinq cents mètres de quai et cinquante et un hectares de terre-plein pour une saturation annoncée du terminal de Montoir-de-Bretagne.
En 1999, le projet d’aménagement hydraulique de la Loire et de ses affluents, une artificialisation old school du « dernier fleuve sauvage d’Europe » avait déjà été profondément atténué au terme de dix ans de conflits. Depuis, le changement climatique et la montée du niveau marin, les extravagantes tempêtes ont montré l’intérêt sécuritaire d’un estuaire capable de respirations. Nous sommes à des années-lumière d’une quelconque restauration des milieux d’avant les Trente Glorieuses, mais Global Climate Change est sur zone.
Une approche systémique.
Une perception du complexe et du non-linéaire.
Une révolution copernicienne de l’aménagement.
Pilonnage résiduel.
Une ZAD, quatre communes : Notre-Dame-des-Landes, Vigneux-de-Bretagne, Treillières et Grandchamps-des-Fontaines.
Quarante années.
Les mêmes habitants.
Il y a dans le bégaiement de la lutte quelque chose de troublant et jamais pourtant il n’y a eu autant de monde dans cette zone humide, un des châteaux d’eau de la Loire-Atlantique, plateau à têtes de bassin-versant qu’il faut parcourir à pied et sans fard pour l’éprouver dans sa dureté et sa richesse, sa boue, ses ruissellements, ses prairies, ses friches, ses hameaux, ses fermes, ses bois, ses ronciers, ses haies, ses mares, ses bêtes, domestiques, sauvages ou ensauvagées, son chevelu hydraulique, sa beauté paysanne d’un terroir transformé il y a deux siècles de cela et qui s’est institué comme une zone à défendre contre sa propre démolition. Comme un espace remarquable, par sa rareté même, son utilité, sa fragilité, sa diversité mouvante.
Une zone humide surpeuplée à l’instant, pleine d’eau, de vie et de boue.
« On ne peut pas mettre de palettes partout. »
Ce n'est pas un décor de théâtre.
À la rigueur un cirque, aurait dit Prévert.
La ZAD, c'est d'abord la boue hivernale, celle qui n'est jamais représentée dans les magazines publicitaires des collectivités locales, censeurs extrêmes de la géomorphologie du quotidien. La boue constitutive de la vie locale, de la saisonnalité de l'expérience nantaise, est absente du projet métropolitain. À la lumière des mondes proches ou lointains, nous savons que, chassée par la porte, la boue revient toujours par la fenêtre.
« Des terres pauvres ».
Elles attirent le mépris du député-maire de Couëron, suppléant de l'actuel premier ministre, et de bien d’autres élus cumulant les temps pleins et vivant dans le hors-sol de leurs mandats.
Un paysage d’attente de quarante ans a fait de ses défauts apparents dans le regard productiviste des années soixante-dix, des qualités indiscutables dans une société saturée, mais plus soucieuse d’elle-même, de son autonomie et de sa pluralité, de sa durée. Ce morceau de bocage préservé par l'emprise de la ZAD et par trente ans de « risque aéroport » est devenu HQE libre, par le fait même de la dégradation-optimisation comparative des autres territoires. La ZAD est aujourd'hui un territoire de haute qualité environnementale. C’est la démolition elle-même qui devient, dans le temps dilaté et déformé d’un projet mort-vivant, singulièrement farfelue.
Au point que le territoire menacé en est venu à porter une zone d’invention non subventionnée et un appel d’offres non conventionnelles permanent.
Cul par dessus tête, c'est un renversement.
Trois à quatre fois plus de linéaires de haies à l'hectare qu’en moyenne départementale.
La forme d'une ZAD change plus vite que le cœur d'un mortel.
Monsieur le juge des expropriations, des dénégations, des concessions, des commissions, des expulsions, des destructions, des démolitions, des concussions, circonvolutions, inflexions, soumissions, compromissions, surfusions, prévarications, inondations et démissions.
Si seulement on avait drainé et arraché toutes les haies comme partout.
Et foutu tous les gars à l’usine.
(et les filles)
On n’en serait pas là.


Déménagement des espèces vivantes.
Et même des morts.
Archéologie préventive.
On doit fouiller six pour cent de chaque projet.
C’est la loi de la république.
Exercer son métier en conscience n’est pas toujours facile.
En France, les archéologues de l’Institut national de recherche en archéologie préventive sont ceux qui interviennent le plus fréquemment sur les chantiers d’aménagement. Ils renouvellent la connaissance géohistorique du territoire avant transformation.
Le groupe Vinci, numéro deux mondial du BTP, les connaît bien.
Ici et même là-bas.
Fouilles préventives de l’extension de l’aéroport international de Siem Reap au Cambodge, à ses frais. Celui-ci dessert le site touristique des temples d’Angkor, à deux pas. Vinci Airports est concessionnaire majoritaire des trois aéroports internationaux du pays : Phnom Penh, Siem Reap et Sihanoukville.
Ici aussi, l’opérateur rêve.
Passer de trois millions de touristes par an à plus de vingt et un millions en 2030.
Angkor-Disneyworld.
Nouveaux spots de tourisme sexuel à proximité.
Disponibles de suite, bon marché.
Nouvel esprit « bains de mer » en gestation à Sihanoukville, à l’autre bout du Cambodge utile, malgré off-shore pétrolier à prévoir.
Magnifique.
Terrains et larbins disponibles.
Les tendances sont bonnes.
Le développement.
Peut-être une ligne directe depuis Notre-Dame-des-Landes à l’horizon 2030.
La concession court jusqu'en 2040.
Ici, « Vinci fait ce qu’il veut, et n’a de compte à rendre à personne, pas même à l’État khmer » écrit la journaliste de Médiapart qui sort l’affaire.
Anomalies de gestion et de comptabilité rapportées.
Forte suspicion de surfacturation tropicalisée.
On a bien connu cela en Loire-Atlantique malgré le climat tempéré.
Notamment sur l’imprimerie ou les centres commerciaux.
Yves Laurent, le maire socialiste de Saint-Sébastien-sur-Loire en est mort. Immolé par le feu dans sa voiture le 13 septembre 1991 à la pointe Saint-Gildas.
RIP.
Ici, là-bas.
« Loin des regards hexagonaux, les trois aéroports cambodgiens de Vinci représentent un enjeu majeur pour l’activité aéroportuaire du groupe. Héritée de Dumez-GTM (fusionné à Vinci en 2000), la concession dégage un chiffre d’affaires d’environ soixante-et-onze millions d’euros par an, soit pas loin de la moitié du chiffre d’affaires global de Vinci Airports en 2011, autour de cent cinquante millions d’euros. »
Médiapart Airways.
« Ce partenariat public-privé avec l'État khmer est détenu à soixante-dix pour cent par Vinci, en joint-venture avec le groupe malaisien de construction Muhibbah. Les sociétés en charge des sites et de leurs personnels sont présidées par Louis-Roch Burgard, qui vient d’accéder à la tête de Vinci Concessions.
Les sites cambodgiens sont pilotés depuis Rueil-Malmaison, siège du groupe, par Nicolas Notebaert, le président de Vinci Airports, qui préside aussi aux destinées d’Aéroport du Grand Ouest (Ago), la filiale de Vinci qui a obtenu la concession de Notre-Dame-des-Landes. Malgré les dix mille kilomètres séparant le Cambodge de la France, l’affaire Cambodia Airports concerne donc directement la direction de ce fleuron de l’industrie française. »
La manière coloniale imprègne les politiques d’aménagement en France et dans ce qui fut l’Empire. Si les objectifs ne sont plus massivement atteints par le centralisme de la chicotte et l’imposture de la raison aménageuse, ils le sont par d’autres moyens
Le capitalisme de corruption en est un.
On s’égare, brigadier.
Le diagnostic archéologique prescrit par la loi.
Les archéologues de l’Institut national de recherche en archéologie préventive soumis à un stress éthique, précarisés.
« On sonde des parcelles en creusant des tranchées de trente à quarante centimètres de profondeur. Si on découvre des vestiges, on revient pour un décapage plus large. »
Cinéma direct.
Pelleteuses encadrées de camions militaires et de gendarmes mobiles. Paysans, occupants sans titre et mairie refusent l'entrée des pelleteuses dans les parcelles.
« J'ai délégation du maire pour ne pas signer cette convention. La commune est solidaire des agriculteurs. 
Février 2013, les diagnostics archéologiques reprennent côté ouest de la ZAD, près de Saint-Jean-du-Tertre : d’importantes forces de police sont présentes. Seize camions de policiers, un autre de gendarmes mobiles et deux voitures de gendarmerie encadrent les pelleteuses.
Les fouilles préventives les plus chères du monde.
Interdiction de regarder, de filmer, de s’approcher.
Contrôles d’identité et harcèlement.
Secret-défense, les gars.
Morsures dans le paysage hivernal. Des piscines sans baigneurs apparaissent dans la glaise. Des monticules de terre les regardent. Les champs sondés sont dévastés. Effectuées dans des zones humides, dépourvues d’autorisation au titre de la loi sur l’eau, les fouilles font l’objet de plaintes multiples.
Il est parfois dur de faire son métier.
On le sait aussi chez les naturalistes chargés des études du projet. Des agriculteurs racontent que certains se baladent avec une veste de la Ligue de protection des oiseaux. L’art du camouflage.
« Biotope. » 
Deux-cents personnes, quinze agences en France et deux à l’étranger.
Bureau d'études.
Ingénierie environnementale et gestion de la biodiversité qui prospèrent maintenant sur le marché émergent de la compensation écologique.
Faire marché de la destruction et muséifier la biodiversité.
Travailler « normalement » sur la ZAD devient vite impossible.
« Les actes ne sont jamais violents, mais c'est crispant. »
Les naturalistes en lutte ont choisi la contre-expertise qui ne méconnait nullement l’expertise officielle mais veut dépasser ses contradictions. Eux aussi se signalent pour ne pas être confondus.
« L’analyse écologique du site a été confiée à un bureau d’étude, Biotope, dont nul ne conteste aujourd’hui les compétences. Sa mission a toutefois été réalisée dans le cadre des limites que le porteur de projet lui a défini, et surtout, avec l’objectif d’appuyer le projet.
Les études ont été réalisées en trois temps (2002, 2006, 2011), chaque moment venant renforcer les découvertes de richesses écologiques sur le site du projet. »
Pré-étude de septembre 2002.
On y lit à propos du bocage.
« C’est le dernier milieu de ce type aussi préservé dans le département. »
Étude d’impact de 2006.
« Le site apparaît comme riche à très riche selon les thématiques étudiées : présence d’espèces et/ou d’habitats protégés dans tous les groupes étudiés ; présence d’un réseau important de mares et de zones humides avec différentes espèces de batraciens ; présence d’un complexe bocager en bon état de conservation ; présence de nombreux corridors (haies, doubles haies, ruisseaux) et de zones de refuges (bois, friches, landes) ; densité de populations d’espèces relativement fortes ; site relativement homogène pour une répartition d’espèces également homogène. »
Étude loi sur l’eau de 2011.
« Globalement, le dossier confirme la richesse écologique du site. Il n’est toutefois pas complet sur la question de la biodiversité car il ne traite le sujet que sur les aspects zone humide (conformément à la législation en vigueur). Il renvoie l’analyse de la biodiversité complète du site au dossier « espèces protégées »… qui n’est pas soumis à enquête publique ! »
Étude « dérogation espèces protégées » de 2011.
« Ce document est probablement le dossier d’étude le plus complet et le plus probant concernant l’annonce des dommages environnementaux qui vont être réalisés par le transfert de l’aéroport. C’est aussi le seul qui ne fera l’objet d’aucune procédure de participation du public : même si le Conseil constitutionnel a relevé dans une décision du 27 juillet 2012 que cela est contraire à la Constitution, il a différé les effets de sa décision au premier septembre 2013. Le document rappelle que c’est le classement en ZAD (zone d’aménagement différé) qui a permis de conserver un espace naturel unique dans le département, en gelant toute opération de modification de l’état des lieux du site depuis les années 1970. »
Les naturalistes en lutte constatent que le choix initial de Notre-Dame-des Landes et sa réactivation à la fin des années quatre-vingt-dix se sont réalisés en dehors de toute considération environnementale et sans aucune étude écologique.
« Alors que le bureau d’étude prend le parti pris de qualifier le site à enjeu écologique modéré lorsqu’il s’agit de le comparer aux autres solutions envisageables, il n’hésite pas à se contredire en affirmant de manière constante les qualités écologiques du site, si bien que le qualificatif d’enjeu modéré apparait, après lecture complète du dossier, dérisoire. »


Détruire, toujours dit-elle.
« Démolir, croient-ils. »
Démolitions.
Pluriel par hypothèses et par définition.
Quelle sorte de démolition annoncerait formellement le démarrage des travaux de l’aéroport et la victoire de la main sur la bouche - la leur sur la nôtre.
A > l’arasement de la forêt de Rohanne.
B > l’extravagant transfert des espèces protégées vers leurs mares-musées nouvellement bâties dans le grand marché de la compensation écologique.
C > les travaux de terrassement du barreau routier.
Coche la bonne case.
Il est toutes sortes de démolitions potentielles.
Du théâtre de boulevard à l’inédit incroyable.
La plus forte de ces démolitions potentielles naît du paradoxe de ce territoire à aménagement différé, à aménagement zéro.
TAZ ou territoire aménagement zéro.
Celui-ci n’est pas un conservatoire, ni un musée. En quarante années, la société locale a changé à un rythme et dans une direction déviée de l’ordinaire géographique, de l’attendu socio-spatial, de l’ordre aménageur, mais il a changé. Un géographe marxiste dirait qu’il a créé sa propre plus-value, que la société locale a construit un capital spatial autonome, par le fait accompli de cette petite différence de trajet.
Nommons cette sorte d’espace comme « espace ou paysage d’attente ».
« Godot géographe ».
Oui, pour les lecteurs révérencieux de Julien Gracq, ça fait mal.
Mais de la salle d’attente, ce territoire n’a pas les traits vides et blessés, car il n’est d’attente que d'aménagement et d’aménageurs, de passions tristes. Les habitants l’ont dit. Dans les années quatre-vingt-dix, ils n’y pensaient même plus. C’était mort. Ils avaient levé la garde et se sont fait surprendre.
Le Territoire Aménagement Zéro, c’est au fond une version paradoxale de la Temporary Autonomous Zone d’Hakim Bey (1990).
Une zone d’autonomie temporaire.
Un interstice inclassable.
« Nous n'avons aucune envie de définir la TAZ ou d'élaborer des dogmes sur la manière dont elle doit être créée. Nous nous contentons de dire qu'elle a été, qu'elle sera et qu'elle est en devenir. Il serait alors plus intéressant et plus utile d'examiner quelques TAZ passées et présentes, et d'envisager ses manifestations futures; en évoquant quelques prototypes, nous pourrions être à même d'apprécier l'étendue possible de l'ensemble, et d'apercevoir éventuellement un archétype . »
Certains diront qu’il y a un pas, un grand pas entre la TAZ version Hakim Bey, refuge d’une autonomie révolutionnaire à forte charge émotionnelle, et le Territoire Aménagement Zéro version Notre-Dame-des-Landes. Il faudra nous le prouver. TAZ prend de multiples formes et le devenir-différé de ce territoire nous donne raison, d’autant que le romantisme échevelé d’Hakim Bey perd heureusement de sa force dans la proximité.
La ZAD-TAZ (2013, Temporary Autonomous Zone) est née du TAZ (Territoire Aménagement Zéro, temporalité N + 40), lui-même né de la ZAD-NF (1974, norme française), c’est un fait curieux qu’il faut ici admettre et relever pour en parler à nos enfants. Le paysage d’attente, le territoire d’attente à la norme française. Il existe, nous l’avons rencontré, c’est ici que ça s’est passé.
Ce fait curieux dit l’unité de la chose dans le grand cirque, au moment même où le clown blanc pérore.
« Le projet se fera dans tous les cas de figure. »
Belle jactance.